[Note : ce billet est tellement long que je l’ai coupé en deux. VF ci-dessous, VO ci-dessus]
Le compte à rebours de la Coupe du monde de rugby a démarré le 1er juin : jour J -100. Et de quoi parle-t-on dans les journaux et sur les ondes ? Des retombées économiques du PLUS GRAND EVENEMENT JAMAIS TENU EN NOUVELLE-ZELANDE. Tous ces billets vont-ils enfin se vendre ? Et qui vient au fait ? Et comment profiter au mieux de la poule aux œufs d’or ? Les profits couvriront-ils le coût de l’opération ? Voilà le nerf de la guerre qui pointe son nez.
En bref, la Coupe du monde, c’est 45 jours de compétition (si, si, vous avez bien lu : 45 jours…), du 9 septembre au 23 octobre. 19 équipes s’affronteront au cours de 48 matches. Le pays attend 85 000 visiteurs (dont 2 000 journalistes). Le tout fonctionnera grâce au coup de main de 5 000 bénévoles (c’est à noter quand même que pendant que certains se remplissent les fouilles, les autres donnent de leur temps. Sans ces derniers, rien ne serait possible).
Le but est bien évidemment que le monde entier rive son regard sur la Nouvelle-Zélande, toujours et encore en mal d’attention et de reconnaissance de la part de la communauté internationale. C’est toujours ce manque d’assurance que l’on peut déceler entre les lignes, ce besoin de briller et de prouver aux grandes puissances qu’un petit pays en marge de la mappemonde et doté de seulement 4 millions d’habitants peut faire aussi bien que les « grands ».
Le nombre 100 dans le titre de ce billet évoque non seulement les cent jours du décompte mais aussi un événement plus ancien, dépassé presque : le centenaire de l’équipe de rugby māori de NZ. Je suspecte que peu de gens en dehors de la NZ connaissent l’existence de cette équipe nationale, sélectionnée sur la base des prouesses athlétiques mais aussi de l’origine ethnique. Ma curiosité piquée m’a amenée à m’entretenir avec Malcolm Mulholland, un chercheur de l’Université de Massey, auteur de Beneath the Māori Moon—An Illustrated History of Māori Rugby. Une fois n’est pas coutume, voici une traduction maison, la plus fidèle possible, de notre conversation…
Cécile Lepage : quelle fut la genèse de ce livre ?
Malcolm Mulholland : En 2001, j’ai commencé à rédiger une chronique sur les affaires māori pour le journal Hawke’s Bay Today qui a retenu l’attention des éditions Huia. Ils m’ont contacté pour me proposer d’écrire l’histoire du rugby māori. Comme la plupart des Néo-Zélandais, j’ai grandi dans une famille mordue de rugby. J’ai commencé à jouer à l’âge de 7 ans. J’étais mauvais mais c’est un passage obligé pour les jeunes garçons ici. Ça fait partie de notre éducation. Alors, j’ai dit oui.
CL : Aviez-vous des notions sur le sujet avant de commencer ce livre ?
MM : La seule certitude que j’avais, c’était combien les Māori sont fiers du rugby māori. Particulièrement ces 15 dernières années, quand l’équipe était entraînée par Matt Te Pou. L’équipe māori a brillé pendant cette période. Matt Te Pou a réveillé l’intérêt pour cette équipe dans l’imaginaire du public. Jusque-là, seuls deux livres avaient été publiés sur le sujet. L’un s’appelait Māori Rugby. Il s’agissait juste d’une compilation des résultats de l’équipe. L’auteur avait fait la liste des matches année après année, avec le nom des joueurs, les points, et voilà. Suite à la tournée au Pays de Galles de 1982, Bob Howitt et Winston McCarthy ont sorti un livre qui s’appelait Haka—The Māori Rugby Story. Ce n’était pas un mauvais livre mais le récit était anecdotique, et c’était écrit d’un point de vue pakeha. Donc il y avait des passages que je trouvais condescendants à la lumière d’aujourd’hui. Par exemple, ils parlaient beaucoup de ce qu’ils ont baptisé « le pas chassé māori », qui consiste à foncer dans les gens. Il y a là une connotation, une généralisation, qui sous-entend que tous les joueurs māori essaient de rentrer dans leur adversaire. J’étais donc motivé pour écrire une histoire détaillée du rugby māori depuis un point de vue māori.
CL : Parlez-nous de ce que vous avez découvert.
MM : Ce qui m’a le plus marqué ce sont les événements relatifs à l’Apartheid. Tout le monde savait que c’était arrivé mais personne n’avait pris le temps de se pencher sur le rôle de la fédération néo-zélandaise de rugby, celui de l’Afrique du Sud et de sa fédération, et enfin celui de notre propre gouvernement. La première fois que la question de l’Apartheid surgit, c’est après la Première guerre mondiale. Dans l’équipe de l’armée néo-zélandaise, il y avait un All Black d’origine indienne, Rangi Wilson. Son bateau faisait escale à Durban et on lui a fait comprendre qu’il devait rester à bord à cause de la couleur de sa peau. Ça a commencé comme ça. En 1921, l’équipe sud-africaine est venue jouer en NZ. Ils ont joué contre l’équipe māori à Napier. Avant le match, quand les Springboks ont pénétré le stade, les Māori ont chanté et dansé la haka et les Springboks leur ont tourné le dos. Les Māori ont perdu et il y a eu de la contestation sur le terrain. Dans un compte-rendu, un journaliste a écrit que c’était répugnant de regarder le public néo-zélandais encourager l’équipe māori. Ce commentaire raciste donne le ton des 60 années suivantes. En 1928, quand les All Blacks sont partis en tournée en Afrique du Sud, il a été précisé que les joueurs māori n’étaient pas les bienvenus. En compensation, l’équipe māori a été envoyée en France. C’était une façon de les apaiser et de les acheter !
CL : Donc voilà l’une des raisons de l’existence de l’équipe māori.
MM : Oui, cela fait partie des raisons. Mais à l’origine l’équipe a été constituée pour motiver la fierté māori et pour multiplier les opportunités pour tous ces joueurs māori qui affluaient. Et la raison principale [de la fédération] était de les dissuader de changer de code et d’aller jouer au rugby à 13.
CL : Donc les joueurs māori sont interdits de séjour en Afrique du Sud. La fédération néo-zélandaise de rugby se plie à cette exigence. Et personne ne conteste cette décision.
MM : Un tournant est franchi en 1959. Les gens se mobilisent, manifestent. C’est un chirurgien irlandais de Wellington qui mène le mouvement, Rolland O’Regan, qui est marié à une femme māori. Sa délégation, la Citizens All Black Tour Association, rencontre le Premier ministre et lui demande d’intervenir et de mettre fin à la discrimination contre les Māori. En vain.
CL : La tension monte jusqu’en 1981, quand les Springboks viennent en NZ. Vous citez un photographe qui dit que « c’est la première fois que le pays frôle la guerre civile ».
MM : Oui, 1981, c’est le paroxysme. Il y a des émeutes, heureusement sans mort. L’ironie dans tout ça est que le ministre de la Police et des Affaires māori de l’époque est Ben Couch, l’un des joueurs māori à avoir été privé de tournée en 1949. Et le voilà qui se range derrière l’opinion de Muldoon [Premier ministre] : « il ne faut pas mélanger le sport et la politique ». Les conséquences du Tour de 1981 ont été si lourdes que toute équipe venant d’un rgime de l’Apartheid était désormais bannie de NZ.
CL : Vous avez joué un rôle dans la résolution de ce conflit.
MM : Une phrase de Patricia Mill, la fille du joueur Jimmy Mill qui fut exclu du tour en 1928, me trottait dans la tête. « Jusqu’au jour de sa mort, mon père a été meurtri par le fait que son pays lui a refusé le droit d’être lui-même. Il reprochait à la fédération d’avoir été complice de cette discrimination. » J’en ai parlé à un journaliste du New Zealand Herald tout en ajoutant que quelque chose devait être fait pour réparer ce triste épisode de l’histoire. J’ai suggéré d’accorder les sélections en équipe nationale rétroactivement, reconnaissant ainsi que ces joueurs auraient dû être sélectionnés. Cela a ouvert le débat. Le consensus était que des excuses devraient être présentées, ce que la fédération a fini par faire. Mais il reste un sentiment dans la communauté māori que ces excuses doivent être livrées en personne au cours d’un hui [une rencontre]. Je sais qu’Oregan Hoskins, le directeur de la fédération sud-africaine est prêt à rencontrer les Māori lors de son séjour pendant la Coupe du monde. Et les joueurs des Springboks de la sélection de 1981 parlent aussi d’organiser un voyage de commémoration. Donc on va essayer d’organiser quelque chose. Le seul protagoniste dans l’affaire qui ne s’est pas excusé, c’est notre gouvernement.
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