Monday, April 18, 2011

L’âme des guerriers


Petit archipel relégué en marge du monde, poids plume dans les affaires politiques et économiques à l’échelle internationale, la Nouvelle-Zélande souffre d’un complexe d’infériorité par rapport aux grandes puissances occidentales, et surtout par rapport à son voisin australien. Les journaux passent leur temps à lorgner sur le sort « plus enviable » de l’Australie—sa bonne résistance face à la crise de 2008, les salaires mirobolants qu’elle offre à sa masse salariale, etc. Cette faille narcissique, la Nouvelle-Zélande la panse en soignant son image de marque dans le petit nombre de domaines où ses ressortissants assurent. Le rugby en est un. Le 7e art, un autre.

Sachez que le cinéma kiwi, fort heureusement, ne se résume pas aux productions du prolifique Peter Jackson et de son studio Weta, sa trilogie et ses avatars… Le cinéma maori brille aussi de temps à autre au box office international.

Ainsi, en 1995, le public d’Europe et d’Amérique du Nord découvrait, un peu abasourdi, que la Nouvelle-Zélande charriait son lot de misère sociale, et que ses laissés-pour-compte étaient, comme par hasard, bien souvent issus de la communauté māori. Once Were Warriors raconte le quotidien glauque de la famille Heke—un père au chômage, une mère courage mais sous la coupe de son mari alcoolique et brutal, cinq enfants délaissés, happés par la rue et la délinquance. L’aîné, aliéné par son père, se laisse entraîner dans un gang dont les tatouages évoquent une ascendance tribale mais dénaturée. Le cadet échoue en maison de correction. Seule Grace parvient un temps à se tenir à l’écart des ennuis. Le nez dans les livres, elle invente des histoires inspirées de la mythologie māori. Mais l’innocente ne tardera pas à pâtir elle aussi de son entourage désaxé.

Je n’avais pas vu ce film à l’époque de sa sortie en salle. Je me rattrape donc aujourd’hui, curieuse d’autant plus de confronter cette fiction avec mon expérience sur le terrain.

Once Were Warriors est un film coup de poing, effroyable de violence. Le réalisateur s’attarde (un peu complaisamment) sur les scènes de passage à tabac pour bien souligner le message : les coups sont le seul moyen d’expression à la portée de ces êtres un peu frustes, à la dérive. La violence donc et la musique car les rares moments d’harmonie en famille ou entre amis s’imposent quand tous se mettent à chanter. On est en pleine vague de réalisme social. Bon. C’est bien joué et convaincant.

Ce qui est étonnant, c’est que, mis à part quelques éléments exotiques (tatouages, chants māori), l’histoire pourrait se dérouler dans n’importe quel ghetto urbain de n’importe quelle mégalopole : New York, Paris, Berlin, Rio… L’impasse dans laquelle se retrouvent acculés les Heke serait donc plus liée au fonctionnement et à un engrenage de notre société postmoderne qu’à leurs origines ethniques.

D’ailleurs, ce sont ses racines tribales māori qui permettront à Beth de reprendre pied dans la réalité et de se tirer d’affaire.

Du coup, j’ai été un peu déçue que le récit se borne à dénoncer cette déchéance sociale sans jamais s’aventurer à en explorer les causes. Sans contexte, le film risque de conforter certains préjugés et stéréotypes du genre « ils n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes » ou « ce sont des fainéants ». On n’y fait pas référence à la colonisation, au racisme, aux discriminations, à l’exploitation…

Autant dire que je me suis peu frottée à cette réalité sordide. Le film se déroule dans une banlieue non identifiée d’Auckland, mais l’auteur du roman dont il est adapté a grandi à Rotorua, une autre ville du Nord. Ici, dans la capitale, les communautés māori se sont installées en dehors de Wellington, à Lower Hutt et Porirua. Et si ces municipalités sont peut-être moins aisées, on est loin du taudis et de la cité décrits dans le film.

Est-ce à dire que les conditions de vie de la minorité indigène ont radicalement changé ? Je crois que suivant les indicateurs traditionnellement utilisés, les Māori rattrapent petit à petit leur retard dans l’éducation, l’emploi, la santé… Malgré tout, ils restent plus touchés par les fléaux modernes (pauvreté, chômage, obésité, délinquance). Quant aux gangs, ils semblent plus ou moins passés de mode, ou se sont rangés disons. Ils ne font plus la une des faits divers.

I’m slowly catching up on “movies made in NZ”. I’ve been meaning to watch Once Were Warriors for ages: I actually remember when it was released in France, back in 1995. It made quite an impression. Māori culture was suddenly under the spotlight. So I was disappointed to find out that the story focuses on an urban contemporary Māori family rather than a traditional whanau.

Yet I was curious to see if I could confront any element of the movie to my own experience, now that I’m here.

And the answer is no. Living in Wellington, I do not often visit Porirua or Lower Hutt which seem to be the epicenters of the local Māori communities. And from the news I gather, living conditions there are way less bleak than the ones depicted in the movie, which setting is inspired by a Rotorua neighborhood. Although Māori people still seem to be disadvantaged nowadays, suffering from social ills (poverty, unemployment, obesity) in greater numbers than other Kiwis, the gap is shrinking.

What struck me was that, except for a few “authentic” touches (such as moko and songs), there was not much that distinguished the Heke family’s fate from that of another family dwelling in an urban ghetto in Paris, Berlin, New York or Rio. Their Māori roots, the fact that they are able to reconnect with their tribal community, is actually what saves them in the end.

And so it could be argued that the movie is more about exploring life in the margins of our postmodern societies than revealing contemporary Māori culture.

Monday, February 28, 2011

Maori warriors’ dance battle




Le dimanche 20 février s’est clôt la biennale de kapa haka à Gisborne sur la côte Est de l’île du Nord en Nouvelle-Zélande. Avec quelque 25 000 spectateurs, 1 700 participants, l’ampleur de l’événement confirme la vigueur de la culture autochtone, renaissante depuis les années 70.

En livrant une haka avant chacun de leurs matches, les All Blacks, l’équipe nationale de rugby, ont popularisé le genre dans le monde. La discipline, qui mêle chants et danses, est l’étendard de la fierté et de l’identité maories.

Depuis quarante ans, lors du festival Te Matatini (« visages » en maori), des troupes venues de tous les coins du pays s’affrontent pour conquérir le titre de champion de kapa haka. Elles étaient 42 cette année, représentant 13 régions et au moins autant de tribus.

La jeune génération se montre friande de ce spectacle : les moins de 25 ans composaient la majorité du public de Gisborne. « On grandit avec. J’adore ça, témoigne une jeune fille de 18 ans qui se rend pour la première fois à Te Matatini. La kapa haka permet au Maori de retrouver le sauvage en lui ! »

You may be familiar with the haka, the iconic war dance performed by the kiwi All Blacks rugby team before each game. This spectacular ritual involving stomping feet, rolling eyes, wriggling tongues, cavernous grunts, and slapping hands, is a Maori tribe greeting tradition.

Mid-February, a crowd of 25,000 converged to the North Island’s East Coast city of Gisborne for a festival of Maori performing arts, known as kapa haka (“dancing in rows”). Te Matatini biennial (“many faces”) boasts to be the largest Maori culture event. New Zealand’s indigenous culture is thriving, appealing to people young and old alike.

The haka’s sensational display of male fierceness is just one ingredient of a kapa haka show which combines poetry, lament, action song, and “poi” swinging (a “poi” being a soft ball attached to a string), performed by not only men, but also women. A hint of thrill is added to the mix during Te Matatini as the 42 selected teams compete over four days for the national champion title.

Friday, February 11, 2011

Kapa Haka




Pas besoin d’être fada de rugby pour avoir entendu parler de la suprématie de l’équipe des All Blacks et d’avoir eu vent de la haka, la danse guerrière que les hommes en noir exécutent avant chaque match, histoire de défier et d’impressionner l’adversaire.

Je n’ai jamais apprécié les défilés militaires mais j’avoue que la haka me donne la chair de poule. Il y a une énergie brute qui se dégage de ces hommes massifs en rang, solidement campés sur leurs jambes fléchies, les pieds frappant le sol, les mains martelant le torse et les biceps, les yeux révulsés, la langue tirée, qui vocifèrent plus qu’ils ne déclament. C’est poignant.

J’ai récemment appris que la haka n’est en fait qu’un fragment d’un spectacle plus vaste, la kapa haka. Dans cette coutume māori, hommes et femmes unissent leurs voix et chantent les hauts faits de leur iwi ou les tragédies passées, appuyant les paroles par leurs gestes et leurs traits. La haka est le numéro où les hommes se saisissent du devant de la scène le reste du temps occupé par les femmes de la troupe. La discipline réservée aux femmes est le maniement du poi, une balle souple de la taille d’un poing balancée à l’extrémité d’un cordon et qu’elles font tournoyer en rythme.

Cette semaine se déroule la biennale de kapa haka, une compétition nationale, événement capital de la discipline. Je vais m’y rendre, et en guise d’aperçu, voici deux photos de jeunes danseurs…

No need to be a rugby buff to have heard about the All Blacks’ supremacy and their ritual of the haka, the war dance they perform before each match. It’s both a challenge and a way to bedazzle their adversary.

Even though I’m not one to be moved by military marches, to put it mildly, I have to admit that haka raptures me. Solidly anchored to the ground by their arched legs, these massive men exude a wave of raw energy: they stomp the ground bare feet, pound their chests and arms with clenched fist, widen their eyes and pull their tong out in a terrorizing mask. It’s a poignant scene.

I recently found out that haka is only one fragment of a bigger ensemble, kapa haka, where men and women sing and act on stage, retelling their iwi’s glorious or tragic past and passing it on. Haka is the part where male dancers take the front of the stage where women stand for the rest of the show. Women’s special discipline is the handling of the poi, a soft ball the size of a fist, hanging from a string, that is whirled in rhythm.

Next week is the kapa haka biennale, a national competition that I’m attending. As a sort of preview, here are a couple of shots of young kappa haka dancers…


Sunday, February 6, 2011

Waitangi Day

On February 6, New Zealand commemorates the signature of the Treaty of Waitangi, the nation’s founding document. It may surprise you to know that nowadays even Māori people celebrate this event! But it speaks to the fact that the initial relationship between Māori tribes and the British Crown was rooted in fairness.

In 1840, over 500 Māori chiefs and representatives of the British Crown entered a partnership, thereby establishing a British colony. Pākehā (European) immigrants had already started coming to these shores, but in an anarchic manner, and both Māori and the English wanted to control these movements.

It’s important to stress that Māori iwi (tribes) did not relinquish their power with this contract. In fact they retained their authority, ownership of their land, and access to their resources, while recognizing the British Crown’s sovereignty and accepting the permanence of Pākehā settlements. There was no question of establishing reserves, and māori people were granted the same rights as any other subject.

When I learned about the particulars of the Treaty, I was astounded by the British Crown’s forbearance. Mindful of colonisation’s dire consequences, I would never have thought that the expanding Empire was at some point willing to protect Māori interests. It may have been due to the fact that Pākehā at that time were largely outnumbered by indigenous people (roughly 100,000 Māori for 2,000 Europeans). But this benevolence also emanates from the contemporary humanitarian ideals which recognized Indigenous people as distinct nations with customary rights rather than categorizing them as “savages” or “barbarians”. Enlightened by previous African and American ghastly experiences, wary humanitarian groups were aware that European contact could lead to an Indigenous society’s annihilation. They wanted to prevent that.

Well, that was the intention anyhow. How things unfolded on the ground was more akin to the usual colonisation story of oppression and exploitation. The Waitangi Treaty promises were ignored and forgotten. Yet, in recent times, calls for honoring the Treaty have been heard and supported. In 1975 the Waitangi Tribunal was set up to investigate Māori grievances.

Le 6 février, c’est jour de fête nationale en Nouvelle-Zélande. Pas de grands flonflons mais ici et là, le temps d’une cérémonie ou d’une kermesse, on commémore la signature du Traité de Waitangi, acte fondateur de la nation. Cela peut surprendre mais même les Māori célèbrent Waitangi Day ! La raison en est que les termes du traité sont équitables à leur égard.

En 1840, 500 chefs māori et des représentants de la Couronne britannique signèrent le fameux traité afin de mettre un peu d’ordre dans le débarquement et l’installation de colons sur les îles.

Les iwi (tribus) māori ne renoncèrent pas à leurs droits, au contraire. Elles conservèrent leur autorité, leurs territoires, et la jouissance des ressources dont elles dépendaient, tout en reconnaissant la souveraineté britannique et la permanence de l’installation des Pākehā (Européens).

Contrairement aux colonies antérieures, les Britanniques n’ont pas recouru au système délétère des réserves, et les ressortissants māori jouissent dès le début des mêmes droits que leurs concitoyens. Cet élan de justice envers un peuple indigène a de coin en boucher un coin quand on est au fait du scénario qui s’est déroulé ailleurs, en Afrique ou en Amérique.

Comment expliquer cette bienveillance ? D’une part, les Pākehā sont très largement minoritaires à l’époque (ils ne seraient que 2 000, face à une population de quelque 100 000 māori). D’autre part, il semble qu’en Europe une philosophie humaniste ait gagné les esprits et ait incité à considérer les autochtones comme des pairs et non comme des sauvages ou des barbares. Ces groupes influents au Parlement tenaient à ne pas répéter les exactions qui ont conduit à l’anéantissement de certaines nations amérindiennes ou tribus australiennes.

En tout cas, tel est l’esprit qui préside à l’élaboration du traité. Par la suite, les termes en ont été plutôt malmenés. Le Traité est bafoué, puis ignoré. Après des années de lutte, le Traité revient au devant de la scène. Enfin, en 1975, le tribunal de Waitangi est instauré afin d’enquêter sur les violations de ces termes.