Wednesday, March 22, 2023

J'aime lire

 “Tu nous lis ?”, s'enquit Zadig tous les soirs après le dîner. Chez nous, cette formule bancale, entrée subrepticement dans le jargon familial, est l'invitation au rituel de la lecture du soir. Zadig a beau avoir onze ans, et Maxime huit, nous avons maintenu l'histoire à voix haute avant le coucher bien au-delà de leur alphabétisation. On ne s'est pas vraiment concertés, cela s'est fait dans la continuité : des albums, on est passés aux BD puis aux romans. Et on continue volontiers d'alterner entre les trois genres. 

Les romans, ceci dit, j'en ai fait mon affaire. Fifi BrindacierHeidiCharlie et la chocolaterieLes PenderwickLa guerre des boutonsNotre-Dame de Paris... J'essaie de passer d'un classique à une oeuvre contemporaine, de tanguer entre anglais et français. Récemment, j'ai commencé à naviguer intentionnellement vers des récits d'enfance lointaine. Le but est d'éveiller la conscience de mes enfants à une réalité autre que la leur. Ne plus simplement leur proposer un miroir réconfortant de leur identité et de leur culture, mais de leur offrir un horizon sur d'autres vécus pour mettre en évidence les contours de notre ancrage occidental, voire peut-être de questionner ses normes et leurs attentes. 

Ainsi la série Omakayas de Louise Erdrich nous a initiés non seulement à la culture ancestrale des Amérindiens de la région des Grands Lacs, mais elle nous a aussi confrontés à leur expérience de la colonisation, la série se déroulant à partir des années 1840. Cette thématique m'est chère. La colonisation vue par les colonisés, c'est un impensé de mon enfance en France. Au cours de mes études, l'expansion coloniale était encore justifiée dans les textes scolaires par les visées capitalistes “honorables” puisque non remises en cause et le discours civilisateur grandiloquent dont la République aime se parer. Et pourtant... Il y en a des choses à redire sur ce discours. 

C'est par petites touches que j'aborde ce sujet avec mes enfants. Les occasions sont nombreuses puisqu'ils ont grandi entre la Nouvelle-Zélande et le Canada, deux anciennes colonies britanniques où les plaies sont encore vives. 

La littérature, c'est un moyen détourné d'aborder des questions brûlantes, d'affronter la douleur d'autrui tout en se protégeant. Ce n'est qu'assez récemment que j'ai rencontré la pédagogie de Charlotte Mason, une pédagogue anglaise du XIXe siècle, pour qui la lecture de “livres vivants” était un des piliers d'une solide éducation. Par “living books”, elle désignait des écrits passionants et passionés, à la langue ciselée, capable d'enthousiasmer un jeune lecteur, par opposition aux manuels scolaires secs et simplistes.

J'avoue ne pas avoir lu Charlotte Mason dans le texte mais des interprétations modernes de son approche. J'ai tout de suite adhéré à ce point de vue. Le potentiel d'un bon récit est riche. Histoire, psychologie, justice, sociologie, géographie, moeurs... Les thèmes abordés en litérature sont inépuisables. Je choisis désormais les livres que nous lisons le soir avec cet éclairage en tête et je m'arrête volontiers dans ma lecture pour m'interroger à voix haute sur le fil de l'histoire, et questionner l'avis de mes enfants sur telle ou telle péripétie. 

Voilà l'aspiration : ouvrir le coeur et l'esprit de mes enfants tout en savourant une bonne histoire.


Thursday, February 23, 2023

Jouer avec le feu !

 La scène est plutôt incongrue, même pour un parc canadien équipé de barbecues : une ribambelle d'enfants se balade torche enflammée à la main. Point d'émeute à la Sa majesté des mouches, non, juste une sortie d'enfants non scolarisés venus suivre un atelier de vie en pleine nature. Rob, de Kaykima Wilderness, leur enseigne les savoir-faire nécessaires à la survie en milieu sauvage. Aujourd'hui, les torches sont au programme : cela implique le ramassage de baton, la découpe du bois au couteau, la fonte de sève. La torche est agrémentée d'une pomme de pin enduite de sève liquéfiée. Une étincelle, et hop, le flambeau s'embrase ! Inutile de craindre la propagation : la neige qui gît à nos pieds servira à éteindre les dernières flammes.

Voilà le genre d'après-midi qui me ravit. Car voyez-vous, mes enfants ne vont pas à l'école. Roland et moi prenons en charge leur éducation : nous pratiquons ce que d'aucuns appellent l'école à la maison. Au quotidien, il faut être honnête, l'enseignement se passe en grande partie par le biais livresque. Un format plus ou moins proche de l'école, j'en conviens, en version édulcorée tout de même, ponctuée de conversations à bâtons rompus. 

Cependant, de temps en temps, on a le plaisir de dénicher une activité sur le terrain et là, c'est le graal : l'apprentissage dans le feu de l'action (c'était trop tentant) ! Au premier abord, cet atelier de bricolage ne cadre pas vraiment avec le programme du primaire et du collège que Zadig et Maxime sont sensés absorber. Mais, mine de rien, tout en discutant des propriétés du bois vert tendre du bouleau par opposition à celles du bois sec de l'épicéa, de la sève inflammable de ce dernier, du feu, les enfants abordent et appliquent des notions de sciences naturelles, de physique et de chimie... 

A vrai dire, j'ai compris avec le temps que l'on ne devrait pas se limiter aux matières adoubées par l'école pour évaluer la qualité d'une éducation. Maths, français, histoire-géo, etc, toutes ces rubriques sont bien utiles pour organiser un emploi du temps institutionnalisé mais, en dehors de ce cadre administratif, ce sont des oeillères pour l'esprit. Le monde est bien plus vaste et le domaine du savoir bien plus fluide que les silos imposés par l'Education nationale. Au quotidien, toutes les disciplines s'entremêlent et se complètent. En participant à l'atelier de Kaykima Wilderness, mes enfants travaillent aussi leur dextérité, leur observation et leur sens pratique. Ils mettent leur corps et leur esprit en mouvement. Et surtout, ils jouent avec le feu ! Puissance et fascination se lisent dans leurs yeux. Tout ce dont je fantasmais avant de me lancer sur le chemin de l'école buissonnière : tout simplement allumer le feu... de la connaissance !

"Eduquer, ce n'est pas remplir des vases mais c'est allumer des feux" (citation attribuée à Michel de Montaigne, non sourcée)





















Friday, January 17, 2020

Tuesday, September 17, 2019

Thursday, October 27, 2011

Hiatus




I am on maternity leave, but I was able to get a few blurbs out before the baby arrived…

Je suis en congé maternité. Voici quelques textes publiés avant l’accouchement…

Friday, August 19, 2011

Recent encounters / De belles rencontres



Two more profiles for Volunteer Wellington. It is each time the opportunity for me to meet with fascinating characters and dip into a person’s life story without feeling voyeuristic. A treat!

Voici deux nouveaux portraits rédigés pour le compte de Volunteer Wellington. A chaque fois, c’est l’occasion pour moi de me plonger dans des trajectoires de vie atypiques et de rassasier ma curiosité sans verser dans l’indiscrétion.

Wednesday, July 20, 2011

Tattoo, beauty and ferocity



One of the most striking Māori visual arts is tattooing. Monochromatic, magnetic and graphic, tā moko is mesmerizing. When worn by kapa haka performers, it enhances their facial expressions. And in everyday life, it speaks to the pride one takes in one’s tribal identity. Traditional tā moko designs refer to whakapapa or lineage which can usually be traced all the way back to the ancestors who first settled in Aotearoa New Zealand.

Mark Kopua, a revered tohunga tā moko (expert in tā moko) who hails from Tolaga Bay, recently opened a studio in Titahi Bay, just up the coast from Wellington. I met his 26-year old female apprentice, Taryn Beri, for a chat.

The practice of tā moko nearly died out in the 20th century as tattoos were frowned upon by pākehā. Only a few women continued to wear the “kauae” on the chin. In the early 70s, Michael King, a scholar who wrote a book on Māori tattoo which may have helped to revive the practice, was able to find only 71 women with a chin tattoo during his research.

Nowadays, though, “a lot of women wear the kauae, says Taryn Beri. In their everyday life, being teachers, nurses, and lawyers… Particularly on the East Coast. It’s a lot more common there. If you go to the supermarket, you’re bound to cross at least one woman with a kaue. Part of that strength is what we’re trying to bring here, in this urban environment.” With the opening of Moko Ake studio in the Wellington region, “urban Māori have access to quality tā moko, an expression of where they come from.” Taryn, who doesn’t wear the kauae herself, wishes it to be considered as “normal”. Her mentor has a full facial tattoo, a rangi pāruhi.

She met Mark Kopua five years ago at the first Māori Market in Wellington. He was accompanied by his female apprentice: “I was intrigued because that was the first woman that I had seen doing tā moko”. They are now just over a handful in the country according to Taryn. Since she was herself passionate about tattooing, “Uncle Mark” gave her the advice to quit her job and move to Gisborne to attend Toihoukura, the School of Maori Visual Art & Design. After a year of studying, Uncle Mark called her and asked her to trial with him for two weeks in Tolaga Bay. “I’ve been with him ever since.”

Training entails a lot of observation, respecting the safety and hygiene requirements, drawing, but also learning the karakia (prayers) and waiata (chants) which are part of the ritual of tā moko.

The custom of carving the skin is shared in the South Pacific with Samoa, Tahiti and the Marquesas.

C’est presque un cliché : pour beaucoup, l’évocation de la culture māorie convoque à l’esprit l’image de tatouages à l’encre noire, élégamment graphiques, pointus et courbes à la fois, s’étalant sur le corps et le visage d’un indigène. Tā moko, c’est ainsi qu’on le nomme ici, est bien l’un des traits distinctifs de la civilisation précoloniale en Aotearoa Nouvelle-Zélande. Et dire que ce mode d’expression a failli périr avec le règne colonial, les Pākehā (Blancs) voyant ces parures, belles et féroces, d’un mauvais œil…

Au début des années 70, aucun homme n’en était paré et seules 71 femmes portaient les lèvres et le menton ornés du « te kauae ».

Aujourd’hui, tā moko, de nouveau répandu, a retrouvé sa force symbolique. Pour les Māoris, il est signe de fierté identitaire et d’appartenance à un clan : on peut y lire le whakapapa, la lignée, du sujet dans les volutes gravées dans la peau. Une sorte de mémento, donc.

Mark Kopua et son apprentie Taryn Beri viennent d’ouvrir un studio de tatouage à Titahi Bay, juste au Nord de Wellington. Je me suis rendue à son inauguration et ai eu le loisir de papoter avec Taryn, wahine tohunga tā moko (experte en tā moko) de 26 ans.

Leur ambition est de populariser tā moko en milieu urbain. Sur la côte Est, les tatouages sont si répandus qu’ils ne détonnent plus. « Au supermarché, on croise forcément au moins une femme portant te kauae », assure Taryn. Ce n’est pas encore le cas à Wellington. Et rares sont encore les hommes qui arborent le moko facial complet tel Mark Kopua...